Demandez-leur la lune



"Longtemps, je me suis méfiée des mots. Quand j'ai eu besoin d'eux, ils manquaient. Ils se barraient, me narguaient, me snobaient et même ils me ridiculisaient. Alors si je parlais peu, c'est que je ne m'y risquais pas. Résultat, les gens ont toujours pensé que je n'avais rien à dire. Que ceux qui me ressemblent n'ont rien à défendre, rien dans le ventre, rien à déclarer. Mais ils se trompent. Il suffisait de me montrer la lune."

Lilou cache les mots au creux de son cœur. Samantha, au contraire, les balance, grenades dégoupillées sur scène comme ailleurs. Bastien les retient, les pétrit, s'en méfie. Farouk, lui, les cherche dans le dico, dans la vie, s'en arme pour mieux se défendre. Ensemble, par la grâce d'une prof qui voit plus loin que leurs silences et leurs peurs, ils vont les extirper, les maîtriser, apprendre à les aimer. S'en servir pour ne plus les subir. Car ces quatre là, répertoriés décrocheurs, catalogués mauvais élèves, relégués sur une voie de garage, vont prouver qu'ils sont bien plus que ça, que cette étiquette collée à leur avenir. Rien n'est simple pourtant pour Lilou, en souffrance dans sa peau d'ado, qui a tant de mal à s'accepter. Ni même pour Samantha, malgré son insolente assurance et dont les rêves démesurés s'expriment parfois trop fort. Pas non plus pour Bastien sur lequel ses parents projettent un futur dont il cherche à s'extraire. Surtout pas pour Farouk qui joue sa place en France, si fragile. Madame Fortin y croit pour eux, avant eux... pour être avec eux dans ce combat inégal, violent, douloureux qu'ils vont s'approprier et auquel ils vont s'accrocher pour gagner.

Qu'il est ardu l'art de l'éloquence. Car les mots peuvent tant : cogner, réparer, armer, blesser, adoucir, délivrer... Isabelle Pandazopoulos qui sait combien leur pouvoir est immense offre à ses personnages - comme elle l'a longtemps fait à ses élèves -  l'occasion de le mesurer. En les inscrivant à un concours, Madame Fortin ouvre une voie inédite à ces quatre adolescents paumés. Elle ne leur propose pas seulement une voie de secours, mais leur révèle une voix-passion. La leur. Celle qui leur permet d'oser être face au monde. Sans faux semblant. Avec leurs vérités et leurs faiblesses. La chance de leur vie.
L'autrice, avec ce style si personnel qui est le sien, fait vibrer la lecture d'une émotion qu'elle soutient d'un bout à l'autre du roman. Et chacune de ses phrases, belle, puissante, fait de son récit une ode à la parole libérée, au respect de soi retrouvé.

 

Le grain de sel de Vanille :

Quatre adolescents en décrochage scolaire se retrouvent face à une prof de français, LA prof, celle  qui pourra changer leur vie. Ils se retrouvent également en face les uns des autres, et se regardent vraiment, apprennent à se connaître. Pour finir, bien sûr, c'est face à eux-mêmes qu'ils vont réussir à ne pas baisser les yeux et à regarder droit devant eux.

Ce roman est choral : chaque adolescent en est tour à tour le narrateur, et l'ensemble est soutenu à bout de bras par le personnage de la prof de français, celle qui leur donne une voix en leur faisant prendre conscience du poids des mots, de leur pouvoir et de leur force. 

S'il y a une chose, simple mais colossale, à retenir de ce roman, c'est que chacun a quelque chose à dire, chacun a la légitimité pour s'exprimer, et le devoir d'écouter les autres aussi. Ni plus, ni moins, mais c'est déjà beaucoup !



Le grain de sel de Prune :

Lilou, Bastien, Farouk et Samantha, quatre ados en décrochage scolaire, quatre parcours de vie, quatre avenirs à écrire. Agathe Fortin, une prof aux méthodes différentes, une prof surveillée, une prof sur la sellette… Et dans la salle 7, le temps d'un concours d'éloquence, ils vont apprendre à se connaître, à se soutenir.

De nombreux thèmes habilement entremêlés dans ce roman, d'une justesse touchante et portés par des personnages profonds, sincères et attachants. Une émotion puissante et "vraie", qui surgit comme une vague intérieure à la lecture de mots ajustés comme le ferait un orfèvre, tant en voix off que dans la bouche des personnages.
Un roman pour aider les ados à croire en eux, à croire en leurs rêve et à croire en l'amitié.

"C'est bizarre comment elle fait avec les mots, Lilou, comme si elle se jetait de très haut sans savoir si l'eau allait être assez profonde pour la recevoir."

Le grain de sel d'Olive :

La décision, Trois filles en colère, Double Faute, Demandez-leur la lune.... Isabelle Pandazopoulos est en train de devenir une autrice classique de la littérature jeunesse. Le choix de ses thématiques, à la fois ancrées dans un quotidien et nous dépassant pour devenir intemporelles, ses personnages, si bien dessinés, profonds, vrais, son écriture, moderne, vivante, enthousiasmante ne sont qu'une partie de son talent à jongler avec les émotions, le réalisme et les mots, forcément. Avec ce nouveau roman, Isabelle s'inscrit encore plus dans ce que j'appelle moi, toute seule de mon côté, une littérature de la justesse. Ses histoires, ses mots (encore), tout est d'une telle justesse qu'on ne peut qu'être touché(e)s.
On s'attache à Lilou, Sam, Farouk, Bastien, leur prof, et même à leurs parents parce qu'ils sont comme nous, parce qu'on les comprend, on vit avec/comme/à travers eux.
Un tel livre donne sens à cette littérature Young Adult que certains dénigrent. Avec des auteurs comme Isabelle, mais aussi comme Vincent Villeminot, Annelise Heurtier, Antoine Dole ou Anne Loyer (pour ne citer qu'eux), on invite les jeunes adultes à entrer dans une grande littérature. La littérature. Juste la littérature.






A partir de 12 ans. Demandez-leur la lune, Isabelle Pandazopoulos. Éditions Gallimard, 2020, 336 pages, 12€.

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