Nous sommes l'étincelle
Ceux qui suivent sur les réseaux sociaux Vincent Villeminot et son éditeur, Xavier d'Almeida, ont commencé à frémir quand ces deux-là ont vaguement sous-entendu que peut-être un projet était en cours.... Plus les mois avançaient, plus le projet devenait livre et plus l'attente devenait grande. Avant de parler du livre, il faut vous parler non pas de son auteur, qui va être très présent dans nos chroniques, mais de son éditeur.
Xavier d'Almeida est un éditeur talentueux, qui sent les choses (il a lu "Hunger Games" en une nuit et a su tout de suite que ce serait un best-seller), qui ose aussi ("La Fille qui n'existait pas", sa couverture colorée dans un monde YA sombre, son histoire forte au delà des romans d'initiation...), qui respecte les auteurs mais plus encore leurs textes.
Bref, quand Harry rencontre enfin Sally (j'espère que Vincent et Xavier ne remonteront pas jusqu'à moi !), on pouvait en saliver d'avance.
Alors, à plusieurs, on s'est penchées sur ce roman et ce qu'on a lu nous a débordées. Alors, on voulait toutes le chroniquer.
Comme on a tout donné dans nos avis, on vous copie-colle le résumé du site PKJ :
C’était il y a longtemps. Avant qu’on interdise la Forêt, avant les braconniers, les cannibales, les commandos…
En 2025. Antigone et Xavier, puis Paul, Jay, La Houle avaient vingt ans. Ils sont partis dans la Forêt. Ils ont cru à ce rêve, à cette révolution. Comme des milliers d’autres. Et maintenant, trente-six ans plus tard, parmi les arbres, il en reste seulement quelques-uns. Des survivants. Presque des enfants.Dimanche, 22h32- Un besoin non contrôlé d'écrire ici alors que je viens seulement de finir ce roman. J'ai beaucoup lu de livres de Vincent Villeminot. Celui-ci est le plus fort selon moi, le plus intime, le plus construit même si beaucoup de choses semblent partir dans tous les sens. Mais en fait non. Le puzzle se met lentement en place, mais subtilement, intelligemment. Pourtant pour moi, ce n'était pas gagné. Je suis une trouillarde en littérature. Dès que ça fait peur, je referme le livre - quand tu sais que le truc le plus flippant que j'ai lu, c'est T'Choupi sur le pot, tu as compris (en même temps, l'enjeu est hyper fort)- . C'est ce que j'ai fait ici, au début. J'ai mis 2 jours à y retourner, motivée d'abord, je dois l'avouer, par l'obligation de cette critique. Alors, j'ai respiré un grand coup et j'y suis allée. Et je n'ai pas refermé le livre avant la fin. D'un souffle. J'ai été happée par les personnages, forts, nuancés, crédibles, justes. J'ai frissonné, comme si j'étais dans la forêt, qui me semblait plus à certains moments moite comme une jungle tropicale que tranquille comme une journée à chercher des cèpes. D'ailleurs, la forêt est l'une des héroïnes de ce livre. Tantôt oppressante, tantôt libératrice, elle joue un rôle prépondérant, à contrepied quand on voit que dans les dystopies ou utopies classiques, la nature est justement omni-absente. C'est ce qui fait aussi l'originalité de ce roman, Villeminot casse les codes en se posant la question que tout lecteur se pose : il se passe quoi tout de suite après la révolte ? Ici, la réponse est : Tout.
Pour entrer dans ce roman, il faut s'accrocher, se laisser prendre la main par une narration chaotique qui, dans les premiers temps du livre, tient en équilibre sur une chronologie fragmentée. L’œil et l'esprit pourraient s'y perdre. La haute technologie le disputant à la profondeur des sous-bois. Mais, las, l'écrivain sait où il va, sait ce qu'il fait. La construction qu'il impose à ses lignes si elle semble tenir en premier lieu de la haute voltige désarmante (voire désarçonnante), s'éclaire soudain avec une force rédemptrice et happe l'attention d'une poigne redoutable. Ses personnages se répondent, par époque interposée, chacune étant la cause et la conséquence de l'autre. Ce roman puise dans la violence humaine comme environnementale pour mettre l'accent sur ces révoltes qui nourrissent et font grandir les générations qui se suivent. Chacune cherchant à faire mieux, à tirer profit des exemples et des erreurs des précédentes, à reconstruire aussi, à révolutionner un monde toujours trop vieux pour avoir de l'avenir. Ce même avenir qu'il faut forger de ses mains, de son courage, avec amour aussi. Car si le reste périt, ce dernier résiste, persiste au milieu des ruines et de la forêt. La puissance du récit tient dans cette écriture qui se fait tour à tour torrent, tempête, ruisseau, mousse... Vincent Villeminot en choisissant de dire l'après, touche surtout à la source de cette aventure cent fois recommencée, de cette étincelle qui jamais ne se meurt. Cette vivifiante envie de faire mieux, de faire plus beau, qui tient en éveil et pousse vers demain.
J'ai eu beaucoup de mal à refermer ce roman envoûtant, beaucoup de mal à laisser partir Dan, Montana, Judith, Allis et les autres, du coup j'ai fait traîner, j'ai savouré (alors que Clémentine et Olive m'attendaient ;-) ). Mais même après la lecture, les personnages sont toujours en vie, ils sont autonomes, indépendants et continuent leur chemin dans la forêt.
Si comme dans "Réseaux", les personnages foisonnent, dans "Nous sommes l'étincelle" ils se croisent, se perdent, se protègent, se retrouvent sur une période de presque 40 ans, ce qui permet à l'auteur des allers-retours dans le/les passé(s)-présent, révélant un puzzle qui prend forme.
Cela peut paraître déroutant, mais c'est en fait très stimulant pour le lecteur qui doit en permanence être vigilant, attentif aux personnages (tout comme l'est l'auteur) et surtout peut, pour une fois, suivre leur évolution sur un temps long. C'est assez rare en littérature jeunesse (l'autre lecture qui me vient à l'esprit est "Les amants du génome").
J'ai adoré (encore une fois) la bienveillance que l'auteur a envers ses personnages, elle les rend "charnels", vivants et tellement crédibles car bourrés de paradoxes, de doutes, d'espoir et de révolte (clin d'œil à "Dans le désordre" de Marion Brunet).
J'ai adoré, aussi, l'engagement sincère de l'auteur, sa foi en l'humain et en sa capacité d'innovation, l'utopie (petite référence à Thomas More ? deux Thomas pour un manifeste…) au sens littéral et littéraire.
Et puis j'ai adoré que Vincent Villeminot nous pousse à réfléchir en nous projetant dans un "avenir" (ou un "présent" quand on pense aux gilets jaunes) proche qui nous inciterait à prendre des positions fortes et où tous les extrêmes poussés à leur paroxysme en deviennent folie (j'ai repensé à une conversation que nous avions eu sur le véganisme, opposé ici au "cannibalisme" des braconniers). Tous ces thèmes, les questionnements des personnages, provoquent le débat et c'est en ça que ce roman est très engagé. Sans nous imposer un point de vue, il nous pousse à nous questionner sur la position de notre curseur : "et si on était à la place de…".
Enfin, "Nous sommes l'étincelle" roman d'anticipation ou utopie, engagé et/ou politisé, est avant tout pour moi une déclaration d'amour à la famille, à la nature, avec un clin d'œil au "Sirius" de l'ami Stéphane Servant où les grands arbres de la forêt sont les refuges de l'Humanité, celle qui garde l'espoir, l'étincelle de vie.
Ce roman porte et emporte...
la douceur des utopies
la violence des désillusions
la douleur du désenchantement
le souffle de l'espoir
Les générations se mêlent,
s'enchaînent, se déchirent et se renouvellent autour de questions essentielles : que faisons-nous de notre humanité ? Comment
voulons-nous vivre ? Que voulons-nous transmettre ?
Il est à lire en parallèle de
« Rejoignez-nous, #grevepourleclimat » de Greta Thunberg, qui résonne en écho au manifeste "Do Not Count on Us".
Il est écrit par un adulte et
s'adresse à toutes les générations.
Celles qui ont compté sur leurs enfants pour... celles sur qui on a compté pour... , et qui maintenant passent le relais.
Voilà, c'est une course de relais. Dans la forêt.
À partir de 14 ans, Nous sommes l'étincelle, Vincent Villeminot , éditions Pocket Jeunesse, 512 pages, 18,90 euros.
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